Thursday 25 October 2012

Brolita




D'après ce site, (ainsi que d'autres, qui reprennent la même phrase verbatum), le mot "brolita" est ainsi défini :

« Like a lolita, but the male equivalent to. »
Ce qui donne, en français : « Comme une lolita, mais l’équivalent masculin. »

Cette explication me pose problème, dans la mesure où elle se base sur deux termes – lolita et masculin – qui ne sont pas clairement définis sémantiquement.
Par « masculin », entend-on en genre, ou en sexe ?

Je sais bien que ça fait très hipster de dire qu’on se méfie des étiquettes, mais le fait est que je m’en méfie un peu tout de même, surtout lorsqu’elles qualifient la personne et non le style. Avec celles-ci, m’est avis qu’il faut faire attention à ce qu’elles impliquent, parce qu’il est facile pour tout le monde de déraper, sans le vouloir, dans le propos offensant pour les personnes concernées.

Je vous propose donc de survoler les différents groupes que le mot « brolita », d’après sa définition actuelle, peut désigner, et à chacun de voir comment il utilisera ce terme par la suite.

I. Sexe et genre, brève introduction

 
Histoire de rendre plus aisée la compréhension de cet article, je passerai un petit moment sur les définitions.

On notera tout d’abord une distinction essentielle : sexe n’est pas égal à genre. En effet, le sexe est déterminé par des facteurs biologiques, alors que le genre correspond à ce à quoi la personne s’identifie socialement.

On notera également que le fait de s’identifier en tant qu’homme pour un individu biologiquement femme, par exemple, ne signifie pas « aimer les vêtements masculins et les choses dont on dit que ce sont des trucs de garçon » : il s’agit d’un sentiment d’inadéquation profond. On n’est pas la personne dont on ressent que l’on devrait être.

Un individu s’identifiant à un genre différent de son sexe de naissance est dit « transgenre ». Transgenre, cependant, n’équivaut pas à transsexuel : est décrite comme transsexuelle une personne qui change de sexe, par opération chirurgicale ou chimique.

Il me semble également important de préciser que le genre comme le sexe ne se limitent pas à l’opposition « féminin/masculin ». En effet, tous deux sont mieux définis sur un spectre : à un bout, masculin, à l’autre, féminin, en englobant tout ce qui vient au milieu. Anne Fausto-Sterling détaille cette notion dans son article The Five Sexes, revisited (2000).


II. Genre masculin, autre sexe


Je passerai très rapidement sur les personnes de sexe autre que masculin et s’identifiant au genre masculin, pour la simple raison que je les ai très rarement vus qualifiés de Brolita. Peut-être cela vient-il du fait que, souvent, ils choisissent de porter des vêtements généralement associés à la mode « pour homme », tel que le Dandy ou le Kodona. Pour ces-derniers, dans la mesure où il existe déjà des termes exacts pour qualifier leur style, je ne vois pas l’utilité d’utiliser le mot « brolita ».

Certains, cependant, qu’ils portent du Kodona ou du Classical, peuvent demander à être adressés en tant que « brolita », justement pour marquer le fait qu’ils souhaitent être considérés comme des hommes. Auquel cas, si cette requête vient directement d’eux, je ne vois aucun problème au fait de les désigner ainsi. Gardons cependant à l’esprit que ce qu’une personne veut, l’autre peut trouver insensible. Pour eux, donc, m'est avis que le terme Lolita doit être appliqué à l’individu et non au groupe.

 
III. Sexe masculin, autre genre


Le terme « brolita » implique nécessairement une notion de masculinité : quand bien même on réfuterait la définition proposée plus haut, il n’en demeure pas moins que « brolita » est la contraction des mots « brother » et « Lolita ».

Par conséquent, désigner une personne comme Brolita, c’est nécessairement lui imposer un « sexe social » (un genre, donc) masculin, ce qui revient à ne pas prendre en compte la volonté de cette personne de s’identifier à un autre genre.

En bref, si cette personne ne s’est pas auto-désignée en tant que Brolita, je pense que c’est un chouïa irrespectueux.

J’ajouterai, par ailleurs, que toutes ces définitions associées au Lolita doivent pour moi se limiter à catégoriser le style et non la personne qui le porte. Or, le style ne diffère en rien lorsqu’il est porté par une personne de sexe masculin, et les mêmes codes vestimentaires s’appliquent. Quel intérêt, donc, de créer un terme pour les désigner ?


IV. Sexe masculin, genre masculin
 

J'en viens à la dernière catégorie appliquable à la définition communément acceptée de "brolita" : les individus de sexe masculin qui s'identifient au genre masculin. Parmi ceux-ci, certains poussent le travestissement jusqu'à sembler féminins dans leur apparence , alors que d'autres choisissent de ne pas le faire.

J'ai lu, dans beaucoup de débats consacrés au sujet, que "les brolitas, ça va tant qu'ils font des efforts pour paraître féminins". C'est une idée avec laquelle je ne suis pas d'accord. S'ils souhaitent paraître féminins dans leur interprétation du style, comme je l'expliquais précédemment, je ne vois aucun intérêt à utiliser un terme spécifique pour les désigner.

Selon moi, le mot "brolita" n'est automatiquement justifié que lorsqu'il s'applique à un individu qui joue sur ses caractéristiques masculines tout en portant du lolita, à l'image de Novala Takemoto.

J'ai lu plusieurs articles très intéressants sur le lolita en tant que mouvement féministe : j'y reviendrai sans doute dans un prochain post. Cependant, fermer le Lolita à l'influence masculine en affirmant qu'il s'agit d'une mode réservée aux femmes, ça ne travaille pas à faire accepter la parité.

Lolitas qui affirmez votre masculinité tout en portant des robes, donc, je vous encourage vivement à continuer : vous justifiez, pour moi, l'existence du terme "brolita" en tant que catégorie, et j'ai hâte de voir de quelle manière ce style évoluera.

Les autres, poursuivez, vous êtes superbes aussi.

9 comments:

  1. Bonjour Neyrelle,

    Je ne me souviens plus si j'avais déjà commenté sur la première version de ton article que je trouvais assez bien d'ailleurs. Il était clair et je ne l'avais aucunement trouvé offensant (la sensibilité est certes quelque chose de relatif).

    Cette 2nde version est aussi intéressant et certes plus précis mais j'avoue que je m'y perds un peu devant tant de précisions... Bref, je pense que la qualification brolita est un faux problème. Je me demande quel intérêt à dire qu'un tel est brolita à part le fait de souligner que la personne arbore un pénis en dessous de son jupon... Au final, c'est une étiquette.

    Dire que le lolita est un mouvement féminin à la base n'est pas sexiste. C'est juste un fait, un constat. Et c'est là que le problème réside : qu'est-ce que le lolita au fond ?

    La transexualité est un sujet à part (en mon sens).

    En tout cas, j'espère que tu continueras le blog et j'ai hâte de lire tes prochains articles !

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    1. Merci pour ta lecture et ton commentaire !
      (Et je suis vraiment désolée si tu avais commenté la première version de cet article et que je ne t’ai pas répondu, je reconnais n’avoir pas songé à vérifier avant de le supprimer.)

      Je vois ce que tu veux dire, par rapport à la clarté. J’avais décidé d’ajouter cette première partie parce qu’il s’agissait de mon ressenti personnel et que ce blog est mon espace personnel ; cependant, je suis tout à fait d’accord pour dire que la première version partait moins dans tous les sens. Du coup, j’ai fait un mix entre les deux, c’est plus aéré comme ça.

      Je ne suis pas certaine de comprendre où tu veux en venir avec ton second commentaire, désolée. En effet, je suis d’accord pour dire que c’est une étiquette. Après, elle me pose problème dans le sens où elle qualifie la personne plutôt que le vêtement, et ce de manière qui peut parfois être insensible. Plus qu'un "problème", je pense qu'il s'agit d'un terme autour duquel il est bon de réfléchir, ne serait-ce que pour comprendre ce qu'il implique avant de décider par soi-même s'il est bon ou non de l'utiliser. Je ne sais pas si je suis très claire, haha.

      En effet, le Lolita est un mouvement majoritairement féminin, et il n’y a rien de sexiste à dire cela. De la même manière, je ne vois pas de problème à dire qu’on peut considérer le port du Lolita comme une forme de féminisme à l’échelle de l’individu (il me semble d’ailleurs que j’avais lu un article sur le sujet sur ton blog). En revanche, dire que c’est "à la base" un mouvement féministe, ou dire que c’est un mouvement féminin sans nuancer avec un "majoritairement", c’est exclure, à mon sens, une partie de la communauté.

      Merci pour tes encouragements, je vais essayer de tenir un peu plus longtemps cette fois-ci. De même, je continue à suivre ton blog.

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  2. Bonjour Neyrelle !

    Je commence par rebondir sur ton commentaire : il n'y a, à mon sens, pas de problème à dire que le mouvement a commencé par être avant tout féministe, quitte à rallier ensuite d'autres causes. J'ai toujours pensé (mais, je l'avoue, cela reste une interprétation personnelle) que le lolita avait commencé comme pur rejet matériel d'une société patriarcale dans laquelle des jeunes filles ne se reconnaissaient pas, ou refusaient de se reconnaître, avant d'embrasser en se développant un aspect culturel, artistique et social qui englobe d'autres problématiques, dont celui du sexe. En revanche, je suis d'accord pour dire que définir le mouvement comme féminin sans aucune nuance est abusif, d'autant que le mouvement a été porté par des hommes influents tels que Novala Takemoto ou Mana.

    Je n'avais jamais vraiment réfléchi à la masculinité affichée du brolita, mais ton point de vue me semble vraiment intéressant. Si porter un pantalon pour une femme peut être une affirmation de sa féminité, je ne vois pas en quoi "l'inverse" ne serait pas possible. C'est en pratique que cela pèche en fait : la majeure partie des brolitas que j'ai rencontré tenaient à être considérés comme étant de genre féminin, certain allant jusqu'à fausser leur voix, sans pour autant parvenir à masquer d'autres attributs masculins qu'ils considèrent comme inadéquat au style (je pense surtout à la pilosité faciale).

    Bien sûr la nature est injuste et certains hommes paraissent plus féminins et donc "adaptés" au lolita que d'autres, et cela amène d'autres questions délicates comme, par exemple, la place de la pilosité dans la définition des genres... C'est pourquoi je pense aussi que le terme de brolita est à employer avec précaution en fonction de l'image que le jeune homme cherche à renvoyer. La seule chose que je me bornerai à critiquer est l'inadéquation entre ce qui est visé et ce qui est réalisé, mais au fond, même nous, lolitas de sexe féminin, y sommes souvent confrontées !

    Je te souhaite une excellente continuation, et je suis soulagée de savoir que tu vas bien après le passage de l'ouragan.

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    1. Merci pour ton commentaire très intéressant !

      Je m'explique : le terme féminisme comprend une notion d'engagement, et rien ne nous permet de dire que le mouvement Lolita est "à la base" engagé. Il ne découle pas d'une idéologie déterminée, et toute signification sociale ne peut lui être attribuée qu'a posteriori. D'où le fait que, selon moi, on peut lui accoler une idée de message féministe "à l'échelle de l'individu", comprendre qu'on peut choisir personnellement de le porter en ce sens, mais que ce n'est pas là l'origine du Lolita.
      J'ai récemment lu un essai selon lequel le Lolita, tel qu'il est porté par les jeunes japonaises, pourrait être une forme de résistance temporaire au devoir filial et d'épouse. L'auteur précisait cependant que rien ne permet d'affirmer que cette résistance est consciente ou que tous portent Lolita avec cette idée à l'esprit, dans la mesure où le Lolita est défini par son esthétique et non par une quelconque forme de spiritualité. Cela traduit assez bien mon opinion sur la question.
      Bref, je m'égare ; je comptais de toute façon écrire une article sur le sujet, j'essaierai de retrouver l'essai que je mentionnais avant de me mettre à sa rédaction.

      En effet, je suis d'accord avec toi : si le but est le travestissement, il est considéré comme "bon" de cacher ou transformer ses attributs masculins. Ce qui me pose problème, cependant, c'est le fait que le Brolita est aujourd'hui presque défini comme un travestissement, ce qui exclut tout possibilité d'influence masculine dans le style vestimentaire.

      Bonne continuation à toi aussi !

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    2. Je comprends mieux ce que tu veux dire. Aurais-tu les références de ce livre dont tu parles ?

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    3. Ce n'est pas un livre à proprement parler, je l'avais trouvé sur un site internet. J'ai remis la main dessus, voici le lien :

      http://www.lerman.biz/asagao/gothic_lolita/research4.html

      J'espère que ça te semblera intéressant !

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  3. Merci beaucoup pour ta réponse rapide ! Passe une bonne journée.

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  4. Bien le bonjour. Je suis une lolita transsexuelle de (bientôt) 26 ans et je trouve ton article très bien fait. De surcroît, il est rare de trouver des personnes sachant faire la différence entre le sexe biologique et le genre. Ça me touche de savoir que des lolitas prennent en compte l'identité de genre de chaque personne avant de coller mécaniquement l'étiquette 'homme' ou 'femme'.
    Par le passé je me considérais comme brolita car j'étais encore en questionnement, mais depuis cette année j'ai l'intime conviction d'être une femme enfermée dans un corps d'homme, avec la ferme intention d'aller jusqu'au bout de ma transition dans le but d'être une femme épanouie.

    Je te souhaite une excellente journée.

    Cassandra Colette Candice Éon de Cambacérès

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    1. Merci beaucoup pour ton commentaire, je suis vraiment contente que cet article te paraisse pertinent. J'espère qu'il sera utile à d'autres.
      Bon courage, et bonne journée à toi aussi !

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